Vienne

Pour permettre à son fils de s'inscrire à l'école supérieure d'enseignement technique de Viennes, son père s'était fait muter de Neudörfl à Inzersdorf, aux environs de la capitale. Sur le plan professionnel, ce n'était pas un avancement; quant au lieu, on ne pouvait guère trouver en Autriche un endroit aussi peu attrayant, aussi perdu. La gare se trouvait là, dans une solitude totale, et le paysage était sans attrait. Il ne reste plus aujourd'hui, à cet endroit, qu'un atelier de réparations et un dépôt ferroviaire. Le paradis de forêts et les montagnes sont désormais vraiment perdus pour lui. Le programme d'études qu'il se fixe à lui-même est immense. Son esprit synthétique avance dans toutes les directions à la fois, aspirant au seul vrai savoir qui est universel. En mêmes temps qu'il suit les cours de l'EcoleTechnique Supérieure, où l'étude des mathématiques, des sciences naturelles, de la chimie est très poussée, le jeune boursier approfondi la philosophie, l'histoire, la médecine. Il mène de front les cours obligatoires et ses recherches personnelles.

Inscrit à l'université de Vienne en automne 1879, Il reçoit les leçons des professeurs de renom qui en illustrent alors les chaires : Brentano, Zimmermann...Il choisit comme matières principales la biologie, la chimie, la physique et les mathématiques. Il semble alors que le rêve de son père — faire de lui un ingénieur — soit en train de se réaliser; et pourtant, la réalité est tout autre.

Entre son baccalauréat et son entrée à l'Université, Rudolf Steiner avait pu se procurer, grâce à la vente de ses livres d'école, toute la série des œuvres des grands philosophes de pensée allemande. Après Kant, dont il avait avec tant de soins travaillé la Théorie de la connaissance , il se tourne vers Fichte et ses ouvrage, Principes de la doctrine de la science, Leçons sur la destination du savant, La nature du savant et Discours à la nation allemande. Traugott Krug, Thilo, Hegel, Schelling et leurs élèves. Il s'intéresse aussi à Darwin. Chez Fichte et sa Philosophie du Moi retentit le grand thème de l'humanité des XIXè et XXè siècles. Kierkegaard, Stirner et Nietzsche qui avaient repris le même thème, s'opposaient les uns aux autres. La grande question qui est ici posée est celle de la « destinée de l'homme », de son autonomie et de son appartenance à l'univers. Le « MOI », noyau de l'être spirituel de l'homme en fait une créature à part. Quelle est sa mission? Quels sont ses devoirs envers la nature? Plus tard, il n'aimera pas se nommer lui-même « idéaliste », en raison du mépris déguisé du inonde sensible et de la nature que ce mot évoque. Mais pour le moment, l'adolescent s'exalte d'une parole de Jean Paul : « Liberté, mot ami, mot sublime... », — d'une phrase de Schelling : « En chacun de nous réside un bien secret, un trésor merveilleux... ». « Ce bien, écrit-il à un camarade de prédilection, je crois l'avoir clairement découvert en moi, lui que j'ai pressenti depuis si longtemps ! »

Il lit aussi les écrits du célèbre esthéticien de l'époque : Friedrich Théodor Vischer. Je tombai sur un passage ou il faisait allusion à la nécessité, pour la pensée scientifique moderne, de réformer l'idée du Temps. J'étais toujours particulièrement heureux lorsque je découvrais d'autres êtres manifestant des besoins de connaissances semblables aux miens. Dans ce cas particulier, je considérais cette découverte comme une justification de mes efforts pour accéder à une notion satisfaisante du Temps. L'étude de la théorie mécanique de la chaleur avait pour lui un charme tout particulier, car elle était enseignée par une personnalité qu'il admirait profondément. Il s'agissait d' Edmund Reitlinger, l'auteur d'un beau livre intitulé Libres Aperçus . J'ai travaillé dans son laboratoire de physique et me suis occupé de plusieurs questions, plus particulièrement d'analyse spectrale. Les cours d'histoire de la physique, donnés par Reitlinger, furent pour moi d'une importance particulière. Il aimait à citer le livre de Whewells sur la méthode inductive des sciences. Son exposé sur Kepler, et la façon dont il caractérisa Julius Robert Mayer, témoignèrent d'une maîtrise incomparable dans l'art de présenter des conférences scientifiques. Je fus alors amené à lire presque tous les écrits de Julius Robert Mayer, et j'eus la très grande satisfaction de pouvoir souvent en discuter avec Reitlinger.

Sa participation à la vie estudiantine de Vienne fit qu'il devint membre de la « Salle de lecture allemande de l'École Polytechnique ». Il fut par la suite nommé président de cette « Salle de lecture ». De petits groupes discutaient à fond de l'actualité politique et culturelle de l'époque. Les avis s'opposaient avec véhémence lorsqu'il s'agissait d'élire des fonctionnaires. C'était l'époque ou se formaient les partis nationaux aux nuances toujours plus accentuées. Les membres de ces partis venaient me voir. Tous voulaient me persuader que leur parti était le seul à avoir raison. Lors de mon élection, tous les partis avaient voté pour moi, car jusqu'alors ils avaient simplement entendu mes interventions, dans des assemblées, en faveur de ce qui me semblait juste. Mais après six mois de présidence, tous votèrent contre moi. Ils avaient découvert que je ne pouvais donner raison à chaque parti, tel qu'ils l'exigeaient.

Son besoin de compagnie fut largement comblé à la « Salle de lecture » . Il y gagnait en intérêt pour les problèmes de la vie publique du fait que celle-ci se reflétait dans les manifestations des cercles d'étudiants.Il 'assistai à de nombreux et passionnants débats des parlementaires dans la galerie de la Chambre des Députés et du Sénat autrichien. En dehors des débats parlementaires d'une portée souvent considérable, je m'intéressais plus spécialement à la personnalité des députés. Assis au bout d'un banc on pouvait voir chaque année le fin philosophe Bartholomäus Carneridans sa fonction de rapporteur principal du budget. Il lançait un réquisitoire cinglant contre le ministère Taaff, et défendait ainsi l'ethnie allemande en Autriche. On trouvait aussi Ernst von Plener, un orateur sec, autorité incontestée des problèmes financiers. On avait la chair de poule quand il critiquait froidement, preuves chiffrées en main, les dépenses du ministre des finances Dunajewski. Puis il y avait les coups de tonnerre du Ruthène Tomasczuck contre la politique des nationalités. On avait l'impression qu'il lui importait surtout de trouver, au bon moment, une formule bien placé pour entretenir l'antipathie contre les ministres. Il y avait aussi Lienbacher, le député clérical toujours intelligent et rusé comme un paysan. Sa tête légèrement penchée en avant donnait à son discours une auréole de sérénité. Gregr, le député des jeunes Tchèques, se faisait remarquer par ses interventions tranchantes. Il avait presque tout d'un démagogue. Le parti tchèque conservateur était représenté par Rieger , personnalité caractéristique de cette culture nationale tchèque, issue d'un long passé, qui avait pris conscience d'elle-même dans la seconde moitié du XIXè siècle. C'était un homme d'une parfaite maturité d'esprit, d'une rare sensibilité, et doué d'une volonté très sûre. A l'aile droite, au milieu des sièges occupés par les polonais, parlait Otto Hausner. Il se contentait souvent de commenter avec esprit des extraits de ses lectures; d'autres fois, il décochait, avec un malin plaisir, des traits bien mérités dans toutes les directions de la Chambre. Derrière son monocle clignait un œil satisfait et intelligent, alors que l'autre œil semblait approuver ce que le premier venait d'exprimer. Cet orateur avait parfois des paroles prophétiques sur l'avenir de l' Autriche. On devrait aujourd'hui relire ce qu'il avait dit; on serait alors étonné de sa clairvoyance. A l'époque on riait de choses qui, quelques décades plus tard, sont devenues d'amères réalités.

C'est l'époque où il écrit avec une fierté juvénile à l'un de ses camarades qui se plaint de la rareté de ses visites : « Tu ne me vois pas, c'est très naturel. Je ne suis vraiment pas un être qui vive au jour le jour, comme un animal sous forme humaine. Je poursuis un but précis, un but idéal, la connaissance de la vérité. »

Telles sont, aux environs de ses vingt ans, les questions que se pose Rudolf Steiner. Mes efforts dans le domaine scientifique m'avaient finalement conduit à voir, dans l'activité du moi humain, le seul point de départ possible pour acquérir une vraie connaissance. On possède, pensai-je, un élément spirituel immédiat dans la conscience, lorsque le moi est actif et observe lui-même sa propre activité. Afin d'éclaircir ses propres conceptions ainsi que les concordances et les différences existant entre les enseignements de Fichte, et sa propre théorie, il s'attaqua à la Doctrine de la science page après page, et la transcrivit.

Je m'étais appliqué autrefois, à exprimer les phénomènes naturels sous forme de concepts, à partir desquels je cherchais à obtenir le concept du MOI. Je résolus de procéder de façon contraire, et de partir du MOI pour pénétrer le sens du devenir de la nature. A cette époque, la dualité de l'esprit et de la nature se dressait, inconciliable, devant mon âme. Il existait pour moi un monde d'entités spirituelles. Je contemplais distinctement le MOI comme élément spirituel évoluant dans un univers spirituel. Mais le concept Nature ne pouvait trouver sa place dans cette expérience du monde spirituel.

Par ces mots, Rudolf Steiner nous dévoile le point essentiel de son évolution spirituelle; en opposition avec les hommes « modernes », le monde spirituel n'est pour lui ni une énigme ni même un domaine clos et secret. Pour lui, au contraire, l'énigme est le monde sensible et la vie dans ce monde, et il connaîtra les plus grandes difficultés pour la résoudre. Déjà lorsqu'il était enfant, ses dons de clairvoyance se dessinèrent, si bien qu'il ne douta jamais de l'existence d'un monde spirituel « derrière et au-dessus » du monde sensible. C'est pourquoi, dès son plus jeune âge, le problème ne consistait pas pour lui en : « Existe-t-il un monde spirituel? » mais bien : « Quels sont les rapports entre le monde spirituel et le monde sensible? »

Je considérais comme un devoir de chercher la vérité dans la philosophie. J'avais à étudier les mathématiques et les sciences naturelles et étais persuadé de ne pouvoir saisir leur véritable nature que lorsque je pourrais baser les résultats de ces sciences sur un fond philosophique solide. Mais je voyais et contemplais le monde spirituel dans sa réalité. Dès que je contemplais un être, son individualité spirituelle se révélait à mes yeux. La corporéité physique et l'activité dans le monde sensible n'en étaient que des manifestations extérieures. Cette individualité spirituelle s'unissait avec le germe physique provenant des parents. Je pouvais aussi suivre les morts sur le chemin qui les menait au monde spirituel.

De quelle façon un adolescent de dix-huit ans, vivant au siècle dernier et possédant de pareilles aptitudes, pouvait-il s'engager dans la vie? Le matérialisme avait tout ébranlé, détruit jusqu'à la théologie. La perception des âmes des morts ne pouvait être considérée par ses contemporains que comme de l'hallucination ou bien le signe d'une maladie psychique. Celui qui aurait parlé de telles expériences n'aurait reçu pour toute réponse que railleries et sarcasmes; il aurait rencontré, tout au plus, une certaine pitié s'adressant à un jeune homme très doué mais à l'esprit malheureusement dérangé.

Au cours d'une conférence qu'il fit à Berlin en 1913 sous le titre Esquisse d'une période de vie, Rudolf Steiner raconte comment le don de percevoir les morts se développa dès son enfance. Cela se passa pour la première fois aux environs de 1868, alors qu'il avait huit ans. Un jour qu'il était assis dans une salle d'attente, il vit la porte s'ouvrir et une femme entrer, qui s'avança jusqu'au centre de la pièce, faisant des gestes et prononçant des paroles qui peuvent se traduire à peu près ainsi : « Essaye maintenant et plus tard de faire tout ce que tu peux pour moi. » Elle demeura quelques instants encore dans une position qui resta à jamais marquée dans l'âme de l'enfant puis disparut, le laissant seul. Il savait parfaitement qu'il ne s'agissait pas d'un être de chair et d'os. Mais comment s'expliquer une telle expérience? Il n'y avait personne dans sa famille à qui il aurait pu parler de ce genre de chose : il n'aurait entendu que de dures paroles sur sa sottise et sa superstition. Quelques jours plus tard, on apprit qu'au moment même où l'enfant avait vu l'apparition, une de ses proches parentes s'était suicidée. L'enfant ne douta jamais qu'il avait vu l'âme de la morte qui lui demandait son aide. Cette expérience l'impressionna et l'influença très fortement; mais ce n'était encore que la naissance d'une clairvoyance naturelle qui dura toute sa vie. L'invisible était, pour son âme, devenu visible. Et ce fut à partir de cette époque qu'il se mit à vivre en compagnie des esprits de la nature, que l'on peut contempler dans des régions comme celle où il vivait. Il vivait avec les forces créatrices qui agissaient derrière toutes choses, de même qu'il laissait agir le monde extérieur sur lui.

Sa clairvoyance naturelle et spontanée en faisait un solitaire, et il s'efforçait d'étudier et de comprendre ses expériences. Le fait qu'il ait su garder le silence montre sa force d'âme. S'il avait grandi dans les forêts de Finlande ou bien dans une vallée de l'Himalaya, cette particularité n'aurait étonné personne; il aurait même trouvé dans son entourage une compréhension naturelle mais, en Europe centrale, à la fin du XIXè siècle, alors que cent ans auparavant seulement, lentement et de mauvaise grâce, le monde avait pris connaissance du don particulier d'un Emmanuel Swedenborg (voir Rêves d'un spirite de Kant), il va sans dire qu'un jeune homme tel que Rudolf Steiner devait se taire s'il ne voulait pas devenir immédiatement l'objet de la risée générale et des moqueries de son entourage. Rudolf Steiner se tut. Il se tut jusqu'au jour où un destin bienveillant plaça sur sa route un homme à qui il put confier ce qu'il avait jusqu'alors dû garder pour lui. Il avait dix-huit ans.

C'est alors que je rencontrai un homme du peuple, très simple. Il prenait chaque semaine le même train que moi, pour Vienne. Il récoltait dans la campagne, des herbes médicinales (simples) et venait les vendre dans la capitale. Nous devînmes amis. On pouvait avec lui, parler du monde spirituel, car il en avait l'expérience.Son âme était emplie de dévotion. Bien que totalement dépourvu d'instruction, il avait lu de nombreux ouvrages sur la mystique, mais ces lectures n'avaient pas changé son état d'âme. Ses paroles reflétaient la profondeur d'une vie spirituelle intense et l'existence d'une sagesse tout à fait élémentaire et créatrice. On pouvait, auprès de lui, plonger son regard dans les mystères de la nature. Il n'avait l'air de rien, avec son baluchon d'herbes mais la spiritualité de la nature était dans son cœur. C'était là son trésor. C'est ainsi que, peu à peu, il me sembla que je me trouvais en rapport avec une âme venue d'une époque très lointaine, que la civilisation, la science et les conceptions modernes n'avaient même pas effleurée et qui me révélait la sagesse instinctive de ces époques oubliées. Si l'on pense au sens ordinaire du mot « apprendre », il est évident que cet homme ne vous apprenait rien, mais si l'on a une vision intérieure du monde spirituel, ce même être, qui évoluait lui-même dans le monde spirituel, vous permettait d'y faire de profondes découvertes.

Cette personnalité n'avait que faire de toute exaltation. Lorsqu'on allait chez lui, on se trouvait dans une famille de paysans sobres et modestes. On lisait au-dessus de la porte « Tout repose dans la bénédiction divine ». L'hospitalité qui y régnait ne différait pas de celle des autres foyers du village. J'ai toujours dû boire un café, non dans une tasse, mais dans une « écuelle » qui contenait presque un litre; puis on m'offrait un morceau de pain de dimension gigantesque. Les villageois ne voyaient pas non plus en lui un exalté. Sa façon de se comporter dans le village désarmait toute envie de raillerie. Il était plein d'humour, et chaque fois qu'il rencontrait quelqu'un, jeune ou ancien du village, il savait trouver le mot pour plaire. Ici personne ne souriait comme les passants qui nous accompagnaient dans l'Alleegasse de Vienne, voyant en lui un être étrange. Le souvenir de cet homme est resté profondément ancré dans mon cœur, bien après que la vie nous eût séparés.

Rudolf Steiner n'a jamais révélé le nom de l'homme qui, dans sa solitude spirituelle, représenta tant pour lui. Nous le connaissons maintenant, grâce aux recherches d'Émile Bock. Il se nommait Félix Koguski, né le 1er août 1833 à Vienne, et vivait, à l'époque de sa rencontre avec Rudolf Steiner, très modestement dans le village de Truman, au sud de la capitale. Il mourut en 1909 et l'on peut lire sur sa tombe au cimetière de Truman : « Ci-gît Félix Koguski, décédé en 1909 dans sa 76e année. »

Dans les drames-mystères qu'il écrivit entre 1910 et 1913, Rudolf Steiner l'a fait revivre sous les traits de Félix Balde.

II existe une deuxième personne dont le nom n'a jamais été livré par Rudolf Steiner et dont nous ne connaissons l'existence que par des allusions qu'il fit çà et là. C'est sans doute peu de temps après sa rencontre avec Félix Koguski, qu'il dût voir pour la première fois cet « inconnu » de Vienne. C'est à lui qu'il doit, entre autres, des indications très importantes sur Fichte, grâces auxquelles il put, beaucoup plus tard, écrire sa Science occulte. Dans le monde extérieur, la position de cet homme était aussi modeste que celle de Félix. En 1909, Rudolf Steiner, invité par E. Schuré à Barr en Alsace, lui parla de cette rencontre, et ce dernier put affirmer dans la préface qu'il écrivit pour le livre de Rudolf Steiner Le christianisme et les mystères de l'Antiquité: « Le maître que Rudolf Steiner trouva, était une très puissante personnalité, inconnu dans le monde, d'apparence bourgeoise et modeste, il vivait dans le seul but d'accomplir sa mission. L'anonymat de ces êtres supérieurs conditionne leurs forces, mais l'effet de ces forces n'en est que plus persistant. Elles éveillent et dirigent ceux qui ouvertement doivent et peuvent agir à la face du monde. Rudolf Steiner avait eu la révélation de la tâche spirituelle qu'il se devait de remplir : unir la science et la religion; introduire l'idée de Dieu dans la science et celle de la nature dans la religion. Puis, à partir de cette base, féconder à nouveau l'art et la vie. Mais comment exécuter cette tâche considérable et audacieuse? Comment triompher du puissant adversaire? Comment vaincre ou plutôt apprivoiser, métamorphoser, l'esprit du XIXè siècle? Comment dompter le dragon de la science moderne et le mener sur le chemin de la connaissance spirituelle, et surtout, comment faire face à l'opinion publique? Aux nombreuses questions de son élève, le Maître répondait : « Si tu veux triompher de ton adversaire, conquiers-le d'abord. Tu ne pourras vaincre le dragon qu'en entrant dans sa peau." »

Schuré, d'après la conversation qu'il avait eue avec R. Steiner au sujet de cet homme, put dire que ce dernier était, dans le sens ésotérique du mot, un Initié, un Maître.

Du point de vue historique, nous ne sommes pas en mesure de juger si la description d' Édouard Schuré est conforme à la vérité. Mais il est certain qu'elle touche l'essentiel de ce que R. Steiner, durant ses années d'études à compter de 1879, se donna pour tâche. Il se disait : Veux-tu accorder ta propre expérience du monde spirituel à la conscience intellectuelle du monde, afin de triompher vraiment du matérialisme qui grandit sans cesse, tant sous forme d'idéologie que de mode de vie? Dans ce cas, tu dois avant tout, faire tienne l'attitude de conscience intellectuelle de l'homme du XIXè siècle. Tu dois revêtir la peau du dragon. Ce n'est que lorsque tu domineras toi-même les méthodes de pensée des sciences naturelles et que tu démontreras totalement la vérité limitée de la conception du monde donnée par les sciences naturelles, que tu pourras montrer à l'Occident l'image de l'univers. Le jeune homme avait devant lui un chemin long et difficile.